Hekatomba Bajończyków, hécatombe des Bayonnais.
Kompania polska już nie istnieje, La compagnie polonaise n'existe plus...
Dans le journal personnel qu’il tient à jour quotidiennement, le caporal Marjan Himner, membre de cette compagnie dite des Bayonnais termine ainsi le récit de cette funeste mais héroïque journée vécue dans les collines d'Artois par ces volontaires polonais de la Légion Etrangère :
‘’ ... lecz gdzie naszi ? Odnalazłem ich nad ranem, okopujących się w okopach wzdłuż-Route de Béthune-. Było ich około trzydziestu. Kompania polska już nie istnieje. ’’
‘’... mais où sont les nôtres? Je les ai retrouvés au petit matin, s’enterrant dans les tranchées le long de la route de Béthune. Ils étaient une trentaine. La compagnie polonaise n’existe plus.’’
Ils étaient quelques 250 légionnaires volontaires polonais à se lancer dans cette bataille d'Artois au lieu dit La Targette à Neuville saint Vaast. Une trentaine seulement en sortira indemne !
Longtemps oublié, une nouvelle édition de cet ouvrage est disponible depuis 2021.
Dans son numéro spécial de Noël 1915 la revue POLONIA consacre un chapitre (pages 23-26) pour évoquer ces Bayonnais disparus au printemps 1915 : il y a Fogelbaum Salomon (24 ans de Paris), des frères Jozef et Sylwester Rejer (20 et 18 ans mineurs de Roche La Molière), de Trzebiatowski Kazimierz (33 ans, mineur président des Sokols de Barlin) et de tous ces autres volontaires polonais légionaires de la 2° compagnie du 2° régiment de marche de la Légion Etrangère ?
Ils sont morts pour "Votre et notre liberté" le 9 mai 1915 lors de l'offensive lancée par les Alliés contre les Allemands installés sur les collines d'Artois depuis l'automne 1914.
Cette page est une évocation nécessaire et indispensable de ce dimanche 9 mai 1915 pour ne pas oublier ceux qui ont accepté hier d’offrir leur vie pour que nous, aujourd’hui, nous puissions vivre mieux.
‘’Bajończycy – les Bayonnais’’ : les volontaires polonais de la Légion Etrangère dans la 2° bataille d'Artois
Le texte qui suit est grandement inspiré du livre publié par notre ami Casimirien Gabriel Garçon en 2014 : ‘’Bajończycy – les Bayonnais’’ : les volontaires polonais dans la Légion Etrangère 1914-1915 disponible aux éditions NordAvril et que je vous recommande.
Pour commencer visionnez cette vidéo souvenir des Bayonnais. Il s'agit d'un montage vidéo que nous avons réalisé à partir de séquences trouvées dans les archives cinematographiques françaises anglaises et polonaises. Le texte qui sert de commentaire à la vidéo a été écrit en 1933 pour l'inauguration du monument aux Bayonnais de Neuville saint Vaast par la cantatrice polonaise Suzanna d'Astoria Jackowska. Cet hymne de Gloire aux Engagés Volontaires Polonais tombés au Champ d’Honneur 1914–1918 est disponible sous ce lien.
Depuis le 3 août 1914 la Grande Guerre s’est installée en France et en Europe.
Depuis six mois les belligérants s’observent chacun dans ses tranchées. Au printemps 1915, les états-majors alliés décident de concentrer leurs forces pour préparer une offensive de grande ampleur en Artois.
Peinture de Max Gehlsen, soldat allemand présent en Artois en mai 1915.
Sur un front de plus de 30 kilomètres allant de La Bassée à Arras, sont installées 18 divisions françaises et 6 divisions britanniques assistées de 750 pièces d’artillerie modèle 75 et 300 pièces d’artillerie lourde.
L’objectif est d’enfoncer les 16 divisions allemandes solidement installées depuis le mois d’octobre 1914 sur ces collines d’Artois. A l’arrière de ces collines, ils occupent toutes les mines de charbon du Pas de Calais.
Depuis le 3 mai, jour et nuit, l’artillerie alliée pilonne dans un feu roulant les lignes allemandes.
Soudain le 9 mai à 5h50 tout devient silencieux !
Plus un bruit de canon ; et soudain à 6 heures commencent les tirs de concentration des alliés destinés à faciliter les mouvements futurs de l’infanterie en direction des lignes allemandes.
Les Bayonnais (Bajończycy) font partie de la 33° division dirigée par le général Pétain. Ils sont cantonnés avec la division marocaine à laquelle ils appartiennent au lieudit La Targette.
A dix heures les tirs d’artillerie cessent totalement ; c’est le signal. Baïonnette aux canons les Bayonnais (Bajończycy) partent à l’assaut.
Les Polonais progressent avec bravoure. Mais les mitrailleuses installées dans les maisons fortifiées de Neuville saint Vaast font des ravages dans les rangs des Bayonnais. Les premiers héros tombent après à peine quelques minutes de combats… Les premiers officiers tombent avant 11 heures : le commandant Noiré, capitaine Osmond et l’adjudant Rousseau …
Un peu avant midi Neuville saint Vaast est prise et la côte 123 sera atteinte un peu plus tard par un groupe disparate pratiquement sans commandement constitué de polonais et de de tchécoslovaques…
Le sous-lieutenant Lucjan Malcz tombe avant midi...
Blessé pour la troisième fois à la tête le sous-lieutenant Lucjan Malcz succombera. L’infirmier Franciszek Zawieja tombera à son tour en voulant lui venir en aide. Néanmoins la progression vers l’objectif final se poursuit. En début d’après-midi le seul officier du 2° régiment étranger toujours en vie, le commandant Collet, prend la direction des opérations, mais faute de renforts la progression va s’arrêter.
Objectif atteint ...
Après avoir pénétré dans les lignes allemandes sur plus de 7 km, la côte 140 de Vimy sera atteinte vers 13 heures.
Les positions sur cette côte 140, stratégique, seront tenus par les Bayonnais jusque 15 heures 30 puis les Allemands se ressaisissent et contre attaquent violemment. Un ordre de repli tactique est donné à 16 heures.
Ce repli se fera dans un mouvement de flux et de reflux en attendant d’éventuels renforts qui n’arriveront pas. Vers 19 heures seul un bataillon de zouaves arrive en soutien. Trop peu et trop tard.
Vers 21 heures l’ordre de repli général vers la route de Béthune est donné. A 4 heures du matin des groupes éparts arrivent au niveau de la route de Béthune. La bataille fut d’une rare intensité. Les pertes et les destructions sont énormes.
Cette côte 140 ne sera reprise qu’en 1917 par les troupes canadiennes. Les légionnaires étrangers, Polonais, Tchécoslovaques, du 2° régiment de marche de la Légion Etrangère auront été exemplaires au cours de cette journée tragique mais mémorable.
Comme on peut le lire dans le Journal de Marche et Opérations (JMO) du 2° régiment de marche du premier Régiment Etranger, les pertes en hommes en cette journée du 9 mai 1915 sont énormes : 50 de 75 officiers et 1889 des 3800 hommes de rang ! Dans le bataillon C, dit des « Bayonnais », tous les officiers sont tués ou blessés (18/18) en ce 9 mai 1915.
Pendant cette offensive du 9 mai 1915 l'ennemi a reculé de 3 km seulement. Mais les Ouvrages Blancs et Neuville saint Vaast ont été repris à l’ennemi. Ci-dessous cerclés en rouge les terrains repris par les Polonais et les Tchècoslovaques de la 1° et 2° compagnie du 2° régiment de marche de la légion étrangère.
Les morts seront enterrés à la hâte dans un immense cimetière provisoire à La Targette prêt de l’endroit où se trouve aujourd’hui le monument érigé dans les années 30 à la mémoire des Bayonnais.
Certains de ces Bayonnais auront peut-être été touchés par une rafale tirée par un fantassin Silésien originaire de Gleiwitz servant dans la VI° armée du prince Rupprecht ?
Qui sont ces Polonais qui se sont enrôlés dans la légion étrangère française et d’où viennent-ils ?
Dès la mi-juillet 1914, les Polonais de France se préparent à la guerre. Il existe à Paris une section de Strzelec qui organise des stages paramilitaires. Un Comité des Volontaires Polonais sera créé à Paris le 2 août 1914 par Wacław Gąsiorowski à l’initiative des associations sportives des Sokols. Dès le 2 août par voie de presse et d’affiches les Polonais de France vont être invités à l’engagement volontaire.
Le recrutement se fait dans toutes les sphères de la société polonaise de France, des commerçants, des artistes, des étudiants, des universitaires, parmi lesquels un archéologue, des médecins, mais aussi des mineurs, …
Qui sont ces mineurs polonais de la Légion étrangère française ?
En 1909, dix ans avant la signature de la convention d’émigration entre la France et la Pologne, Witold Czartoryski (petit fils du prince Adam arrivé à Paris en 1931) fait venir de Westphalie les 131 premiers mineurs polonais pour travailler dans les mines d’Aniche et d’Anzin où la famille Czartoryski est actionnaire.
Comme on peut le constater sur le document ci-contre, la venue de ces mineurs polonais est encadrée et étroitement suivie par les services de la Sureté Nationale.
Dans cet article du 14 avril 1914 du Temps (voir page 3 bas de page) Henri Vimard recence environ 2000 polonais qui habitent principalement à Lallaing, Guesnain ou Barlin.
Mineurs, Sokołs et légionnaires...
Vous trouverez dans le livre de Gabriel Garçon ‘’Bajończycy – les Bayonnais’’ : les volontaires polonais dans la Légion Etrangère 1914-1915 tous noms et les détails concernant ces mineurs qui ont rejoint la compagnie polonaise de Bayonnais. Il resence une quarantaine de mineurs appartenant pour la plupart à l’association sportive des Sokoły. Ils viennent de Lallaing , Guesnain , Douai, Barlin, Billy-Montigny, Liévin…
Les mineurs de Lallaing (Nord) en juin 1914
Ces volontaires Polonais viennent de partout en France et ...
Quelques souvenirs de Bayonne...
Photo des Bayonnais-Bajończycy prise le 23 août 1914. Le lendemain de leur arrivée ils effectuent un premier entrainement au champ de tir de Montbrun; toujours en civil. Ils ne recevront leur uniforme que trois semaines plus tard.
En corvée. A droite Antoni Furdzik disparu le dimanche 9 mai 1915 lors de la prise de la côte 140 près de Neuville saint Vaast.
La deuxième compagnie Polonaise dite des Bayonnais-Bajończycy du 2° Régiment de Marche de la Légion Etrangère au complet (environ 240 hommes) la veille de leur départ pour le front (octobre 1914).
Que sont devenus les Bayonnais survivants à la 2° bataille d'Artois...
Après la bataille d’Artois qui durera jusqu’au 16 juin 1915, le 2° régiment de marche de la légion sera dissout et les survivants seront dispersés dans d'autres unités.
Ainsi Marjan Himner demandera sa mutation comme pilote. Il se crashera avec son avion lors d’un vol d’entrainement à Pau en juillet 1916. La fiabilité des machines volantes de l’époque était quasi nulle.
Le docteur Jan Garbowski sera muté dans un autre régiment de la Légion puis il rejoindra en 1917 l’armée Polonaise créée en France. Il rentrera en Pologne avec le général Haller. Dans l’entre-deux guerres il sera chargé de l’organisation des services médicaux de la toute jeune armée polonaise. En septembre 1939 il sera fait prisonnier et assassiné à Katyn par qui vous savez.
Ci-dessous une partie des Bayonnais qui a rejoint l’armée polonaise en France (général Haller) et qui ont combattu contre les bolchéviques en 1920. Voir le livre Fraternité d’armes le soutien militaire de la France à la Pologne que nous vous recommandons.
Parmi les survivants, citons aussi Mieczyslaw Rodzynski, Bayonnais de la première heure qui fit toute la guerre en France. Il retourne en Pologne avec le grade de capitaine où il continue à combattre la Russie. Grièvement blessé par sabre à la tête et à la main lors d’un affrontement avec les bolchéviques en Ukraine, il succombera à ses blessures en juillet 1920. Voir la biographie de Mieczelaw Rodzynski rédigée en 2021 par André Szczerba.
Leon Hufnagel et François Baryla resteront en France et créeront l’association des anciens combattants polonais. Le docteur Hufnagel travaillera dans les hôpitaux de Paris et exercera comme dermatologue à Neuilly jusque dans les année 60.
Ci-dessus, le 9 mai 1925 devant le monument aux morts de Neuville saint Vaast : Léon Hufnagel premier à gauche (cheveux blanc et barbe) et François Baryla (au milieu avec le drapeau polonais blanc/rouge) à côté d’Alfred Chlapowski ambassadeur de Pologne en France.
Hommages collectifs et individuels...
Dès le lendemain du 9 mai 1915, le général Joffre envoie cet ordre général n°38 à la Division Marocaine pour la féliciter.
L’ensemble du 2° Régiment sera cité à l’ordre de l’Armée le 8 septembre 1915.
La compagnie des Bayonnais sera citée à l’ordre des Armées et les survivants ainsi que le drapeau recevront la Légion d’Honneur des mains du président Poincaré le 22 juin 1918.
Au-delà de ces distinctions collectives de nombreux Bayonnais ont été décorés à titres personnels en France et en Pologne plus tard. Vous trouverez tous les noms des Bayonnais décorés dans le livre de Gabriel Garçon. Voici quelques extraits du Journal Officiel à ce sujet.
Notez ci-dessus que Stanislas Kaminski est un Bayonnais, volontaire Polonais venu des Etats Unis.
Sur la photo ci-dessous prise à Varsovie le 4 août 1921, on voit le général Niessel de la Mission Militaire Française en Pologne remettre des décorations (Légion d'Honneur, Médaille Militaire et Croix de Guerre) aux familles et aux Bayonnais retournés en Pologne et servant dans l’armée du Général Haller.
Devoir de mémoire.
Gloire à tous ces fils de Pologne, de Tchécoslovaquie, du Maroc, ou de Tunisie, … soldats allogènes de la division marocaine du général Pétain qui a combattu pour la France en 1914-1915 et le dimanche 9 mai 1915 sur les collines d’Artois. Ci dessous une éloquante gravure réalisée en 1917 par l'artiste Blanka KORAB- MERCERE (1883-1937). L'artiste polonaise vit en France depuis 1908 où elle étudie à l'Ecole des Beaux-Arts. Elle retournera à Varsovie dans les années 20 où elle créera une école de peinture.
Dès les années 20 la Polonia de France va se mobiliser pour recueillir les fonds nécessaires à l’érection d’un monument en souvenir de ces Bayonnais. Il sera construit à Neuville saint Vaast, là même où de nombreux Bayonnais sont tombés.
Ci-dessous la photo et les noms des fondateurs polonais qui ont fait l’acquisition en 1925 du terrain où se trouve le monument aujourd'hui.
Klaczynski Fr[anciszek], Kosmala Franciszek, Janiak Jan, Talaszka Józef, Michalak Stanislaw, Wozniak Michał, Kaszyda Kazimierz, Dąbkiewicz Wacław, Skobic Stan[isław], Wawrzyniak Tomasz, Janiak Fr[anciszek], Wo?niak St[anisław ou efan], Kupczyk St[anisław], Kosmala Ign[acy]. (Photo Rayonnement Culturel Polonais).
Le tout premier monument est une simple croix en bois avec un toit à la mode slave qui sera inauguré en 1925.
Le monument en dur sera inauguré en 1933 par l’ambassadeur de Pologne en France d’Alfred Chlapowski . (Voir vidéo)
Depuis cette date, le monument aura été restauré plusieurs fois. La dernière en 2020 par à la Fédération de la Mémoire Militaire Polonaise de France et le Rayonnement Culturel Polonais (Nos amis Gabriel Garçon et Henri Dudzinski) qui tous les ans président aux cérémonies chaque 9 mai.
Aujourd’hui les noms des Bayonnais sont inscrits sur les faces du socle.
En juin 2023 à l'arrière du monument de Neuville saint Vaast un Jardin de La Paix a été inauguré par Andrzej Szydło, Consul général de Pologne à Paris en présence de Gabriel Garçon et Henri Dudzinski " gardiens actuels" des lieux.
Et quelques vidéos concernant ces soldats polonais de 1914-1918.
En 2014, à la sortie du livre consacré aux Bayonnais/ Bajonczycy écrit par Gabriel Garçon nous avons réalisé cette vidéo sur ces Bayonnais.
En 2015 nous avons réalisé une autre vidéo retraçant les célébrations qui ont eu lieu à Lorette et en Pologne pour le centenaire de cette bataille du 9 mai 1915.
En 2017, dans le prolongement de l’évocation des Polonais durant la première Guerre Mondiale nous avons réalisé une vidéo sur l’Armée Bleue du Général Haller/ Błękitna Armia gen. Józefa Hallera.
En 2022 l’IPN (INSTYTUT PAMIĘCI NARODOWEJ) publie une brochure et un dessin animé sur les Bayonnais consultables sous ce lien.
„KTO NIE SZANUJE I NIE CENI SWEJ PRZESZŁOŚCI, NIE JEST GODZIEN SZACUNKU TERAŻNIEJSZOŚCI ANI PRAWA DO PRZYSZŁOŚCI”
Józef Piłsudski
René ZALISZ, 9 mai 2024
Date de dernière mise à jour : jeudi, 09 mai 2024